Après les évictions de Papandréou en
Grèce ou Berlusconi en Italie, la France fut le 13ème pays européen à changer de
chef d’état dans les urnes depuis la crise.
Les périodes de crise donnent toujours lieu à une remise en question
identitaire, une profonde perte de repères touche l’occident et
particulièrement la France, tiraillée entre sa représentation traditionnelle de
la politique et le consensus auquel elle se conforme peu à peu.Le peuple français a dérogé à son
anormalité en ne consacrant pas un leader providentiel plein d’idéaux, mais son
anti-héros. L’image renvoyée par le comportement du chef de l’Etat influençant
celle de la politique auprès de la population, l’attente est de taille.
Le représentant choisi ne semble pas embrasser le pouvoir mais s’en
détacher, François Hollande a ainsi déclaré dans son discours d’investiture
« L’état est la propriété de tous les français », une déclaration qui
rompt avec le regard porté sur la présidence ces derniers temps.
Un complexe de supériorité et d’anormalité si
français
François hollande peut affirmer être un président normal, il
préside un pays qui se refuse obstinément d’être ordinaire. Aux yeux de la
presse étrangère, seul un président français peut oser prétendre « aider
les africains » comme a pu le faire Sarkozy, ou bien déclarer que « la France ne saurait être la France
sans la grandeur. » comme De Gaulle en d’autres temps.
La France ne représente
pourtant que 1% de la population mondiale sur 1% des terres émergées, mais elle
persiste à se voir comme le phare de l’humanité malgré sa crise identitaire. A
l’instar de la Chine, la prétention de sa culture n’a pas d’égal, ce complexe
de supériorité est profondément ancré dans l’histoire française depuis la
révolution française.
Depuis la 5ème république, l’image du président élu
correspondait à cette représentation inconsciente du leader à la hauteur de
« l’exception française.»
La France a beau posséder
une bureaucratie complexe comme la plupart des puissances européennes, son représentant
élu est fortement rattaché à l’exercice du pouvoir, il le représente et
l’incarne.
Les valeurs dont la France se réclame originaire sont désormais
communes à la majorité des démocraties représentatives et ses lumières semblent
éteintes au regard de sa politique en matière d’immigration où l’état de ses
prisons.
Même si le reste du monde attend de la France davantage
d’humilité et de modernisme, son influence n’est pas pour autant neutre comme
l’intervention en Libye ou le relatif rayonnement de la culture française en
témoignent.
Le changement de ton du nouveau président dont la recherche du
compromis est privilégiée à celle de la mesure prétendument révolutionnaire
n’efface pas pour autant les vieux réflexes français. Ainsi celui-ci n’a pas
manqué de rappeler que la France était à l‘origine de la déclaration
universelle des droits de l’Homme dans son discours d’investiture et n’était,
en un sens, pas exactement comme les autres. Ce sentiment de supériorité paraît
davantage masquée que balayée.
L’attente d’un leader providentiel
La France est hantée par le mythe de l’émergence d’une
personnalité providentielle qui sauvera la nation du déclin, un article du
Daily Telegraph dessine bien les contours de cette norme dans l’histoire politique
française. Le quotidien s’alarme de voir un président si éloigné de la figure
traditionnelle du pays, la vie politique française étant menée au rythme des
reprises en main par des personnages charismatiques ; que ce soit Napoléon
après le désordre post révolutionnaire ou De Gaulle après la défaite de 1940.
Le déclin de l’occident et la crise du système
économique accompagne une déstabilisation des repères politiques et une perte
de confiance dans l’avenir. Ce phénomène engendre une demande de leaders
charismatiques capables de prendre des décisions rapides et radicales alors que
notre système empêche structurellement un tel processus.
La France possède un régime politique unique qualifié de
semi-présidentiel, c’est à dire un régime parlementaire muni d’un chef d’Etat
aux pouvoirs étendus. Il n’y a qu’en France qu’on réserve autant de privilèges
à un chef d’Etat élu, non pas financiers, mais davantage institutionnels. Aux
Etats-Unis, imaginer qu’un ancien président puisse siéger à la plus haute cour
de justice du pays paraît invraisemblable, voir Georges Bush et Bill Clinton
juger de la bonne application de la constitution fait sourire. Pourtant en
France, depuis le cadeau du Général De Gaulle au président Coty pour lui avoir
laissé le pouvoir en 1958, chaque ancien président siège à vie au Conseil
Constitutionnel, balayant toute impartialité.
La récente campagne présidentielle a été marquée par
l’exaltation du chef d’état dans le rôle du capitaine de navire faite par
Sarkozy, image reconduite sur son affiche officielle. On pouvait presque penser
que le monde s’arrêterait de tourner sans le président sortant, qu’il était le
seul remède face à la crise mondiale, qu’importent les agents de
l’administration et le reste du monde.
Pourtant, le chef d’Etat qui semble le mieux correspondre à ce
fantasme n’est autre que Vladimir Poutine, figure virile autant craint
qu’admiré capable de porter la responsabilité d’un pays dont le peuple s’est
déchargé. Cependant, l’émergence d’un tel individu en France est illusoire tant
le pouvoir est contrôlé.
Ce fut la principale inquiétude des français durant la campagne
de François Hollande, sa capacité à assumer ses responsabilités, doutant même
de son courage de participer à un débat télévisé.
Le choix du compromis, la méthode Hollande
C’est pourtant le président qui se proclamait normal qui a été
élu. Si son ascension a été favorisé par le bilan et les dérives de l’ère
Sarkozy et le profond rejet de sa politique, le concept de normalité a séduit.
Ce qui est apparu au premier abord comme une bourde de campagne
s’est avéré un argument de poids, la normalité au sens de sobriété et de
pragmatisme a rassuré une partie de l’électorat désorienté par l’agitation de
son prédécesseur. La recherche de stabilité et de cohérence en temps de crise a
fait pencher la balance du côté d’Hollande auprès des déçus des folles
promesses.
En mettant l’accent sur la nécessité d’une hauteur de vue de la
présidence durant son débat face à Nicolas Sarkozy, celui-ci a dérogé aux
campagnes précédentes où l’on votait pour une dynamique et un projet, c’est un
vote de réconciliation avec la politique qui a consacré sa victoire.
Raillé de tous au départ, il a, sans y toucher, éliminé tous ces
adversaires pour accéder au pouvoir. Son ascension reflète sa vision de la
politique, la recherche du compromis, de l’arrangement pour mettre tout le
monde d’accord sur une évidence.
Son début de quinquennat
suit cette logique, pas de cadeaux sociaux Mitterrandiens, un gouvernement
sobre tentant d’afficher la discipline budgétaire comme un bien fait, bien fait
dicté par la tutelle des marchés financiers sur la zone euro qui oblige le
président, s’il veut sauvegarder temporairement la monnaie commune, à un
compromis qui ne satisfait ni son électorat ni une partie de ses députés.
Les fabrications de rêves politiques ont lassé un électorat de
plus en plus désabusé, où le décalage entre discours et action prend tout son
sens en période d’urgence. Le fameux « travailler plus pour gagner plus » quand
le chômage gagne chaque mois du terrain ne fait plus rêver.
Au vue des excès et des
scandales du pouvoir, un détachement de la personnalité du pouvoir fut bien
accueilli, la question est de savoir si cette normalité n’est pas un leurre
d’un retour à la tradition pré-sarkozienne ou bien une anomalie sous la 5ème
république.
La généralisation
d’intervention télévisée, même en se déplaçant sur un studio, risque de se
payer cher au près de l’opinion.
Entre
désenchantement politique et conformisme
Le peuple n’est ainsi pas bercé d’illusions et de rêves, il
tiendra à l’œil le nouveau président qui s’emploie à donner sens à son concept
de normalité comme le prouve sa venue sur un plateau télé ou sa photographie
officielle faite par Raymond Depardon. La campagne agressive et grave de 2012
contraste avec celle de 2007 où un réel élan autour du travail accompagnait
l’élection de Sarkozy, les vieilles recettes politiques semblent se périmer en
temps de crise, place à l’éclipse de l’enchantement politique.
L’enthousiasme mesuré qui a accompagné l’élection se retrouve
dans la Une de « Libération » journal de Gauche se contentant de
commenter la victoire d’Hollande de « Normal ! ». Si les français
se sont plutôt réjouis de la fin d’un
gouvernement marqué par les scandales, la gauche n’a été consacré que par son
candidat le plus éloigné de la ligne traditionnelle socialiste, loin de l’aile
Gauche du parti.
La vie politique française est victime de son
paradoxe, prétendre concilier chef d’état fort et démocratie représentative
tend inexorablement à pencher vers l’un de deux côtés.
Le discours d’Hollande semble se conformer au modèle social
démocrate d’Europe du Nord qui tend à se généraliser à l’ensemble du
continent ; ainsi une gauche ayant cédée à l’économie de marché s’oppose à
une droite austère. Une politique de synthèse éloignée des idéaux.
Face aux effrayants chiffres du chômage et l’absence de
perspectives de renouveau économique, le président attaché au compromis chute
dans les sondages. Les critiques pleuvent de la part d’une droite cynique et
d’une gauche déçue. La tendance à la radicalisation des discours risque de mettre
en péril la volonté affichée au lendemain de la présidentielle.
L’attitude endolorie du gouvernement, faute de créer une
dynamique, risque de réveiller le caractère absolu de l’opinion publique et compromettre
l’autorité présidentielle, juste au moment où Mr Hollande en aurait le plus
besoin face aux drastiques mesures qui s'annoncent. Plus que jamais, la
dépersonnalisation du pouvoir s’avère difficile.