jeudi 15 mars 2012

Censure de la pénalisation des génocides: double peine pour la démagogie



Au lendemain de la décision rendue par le conseil constitutionnel le 28 Février dernier, censurant le texte voté par le parlement instaurant une peine d’un an d’emprisonnement et 45 000 euros contre quiconque contesterait ou minimiserait le génocide Arménien, le président a accusé une double désillusion : le rejet de sa politique en matière de loi mémorielle et un coup d’arrêt dans son entreprise électorale.
A sur jouer la carte de l’émotion outrancière, N.Sarkozy s’est fait prendre à son propre jeu en s’attirant les foudres de la communauté historienne, juridique et internationale.
Le Conseil Constitutionnel a donc mis fin à près de deux mois de vives tensions entre la France et la Turquie autour d’un débat qui n’en était pas un.

L’opportunisme d’une apparente noble intention

 

   A priori, vouloir sanctionner les propos négationnistes d’une tragédie n’a rien de révoltant. Pourtant, celle loi votée par une cinquantaine de députés sur 377, de droite comme de gauche, suscite réticences et interrogations dans la sphère internationale et au sein même de la communauté arménienne.
Parler de noble intention maladroite serait naïf sans constater la proximité de l’échéance de l’élection présidentielle où se présenter en défenseur des valeurs humanistes est l’occasion d’afficher une image positive universelle.

   Émouvoir à tout prix l’électorat est une spécialité du quinquennat de N.Sarkozy, ainsi nous sommes régulièrement gratifiés de ses larmoyants discours sur toute les injustices de cette Terre. Chacune de ces interventions donne lieu à son lot de compassion et de souffrance, que ce soit  une perte d’un soldat français en Afghanistan ou un sordide fait divers. Le 11 Novembre 2011 par exemple, le président a rebaptisé le « jour de commémoration de la victoire et de la paix » en « cérémonie nationale d’hommage aux soldats morts pour la France » avant l’adaptation de l’appellation par le parlement, imposant son interprétation de l’Histoire.
   Le phénomène va jusqu’à envahir les salles de classe, les programmes scolaires, dictés par le ministère de l’éducation, insistent davantage sur le traumatisme des guerres plutôt que sur leurs faits générateurs, sur les dramatiques pertes humaines plutôt que sur les fondements idéologiques responsables.

 

   Les politiques français ont bon œil de prendre à cœur le génocide arménien alors que d’autres génocides tout aussi dramatiques n’ont pas eu le même écho, en particulier le génocide du Rwanda où la France s’est toujours montrée discrète. Le demi million d’électeurs potentiels d’origine arménienne et l’absence totale de lien avec la France doit peser dans la balance.

Quand il s’agit de sa propre Histoire, le législateur ne trouve rien de mieux que de consacrer les bienfaits de la colonisation dans la loi du 23 février 2005.

  

Une défaite de la volonté de comprendre

 

   Mais l’Histoire est à la France ce que le Droit est aux Etats-Unis et ce que l’Economie est au Royaume-Uni, une spécialité intellectuelle auto proclamée.
La communauté historienne, qui s’était élevée en 2005 contre le principe même des lois mémorielles à travers la pétition du 12 décembre de la même année, dénonçant de surcroît la loi Gayssot de 1990 instaurant une première fois une peine contre la négation de la shoa, s’est de nouveau manifestée début 2012.

   Pierre Assouline, dans « L’Histoire », met en garde les politiques contre le danger de l’officialisation d’un événement historique et n’hésite pas à parler d’une « soviétisation » de l’histoire. Si le négationnisme est en tout point scandaleux, le révisionnisme, interdit de fait par cette loi, est inhérent au travail d’un historien et à  l’objective interprétation des faits.
Cette contrainte est une atteinte à la liberté de recherche comme le souligne les requérants du Conseil Constitutionnel, celui-ci préférant retenir une atteinte à la liberté d’expression.

   Cette loi est perçue, par les historiens, comme un aveu d’échec des politiques de réussir à animer un vrai débat sur la question et à monopoliser les forces scientifiques internationales pour déboucher sur une conclusion commune. Un journaliste turc fait référence à l’ignorance des politiques quant aux faits réels, notamment une intervention du président Sarkozy indiquant le mauvais lieu des massacres orchestrés en 1915.
Il est plus facile de répondre à un sujet délicat, qui suscite encore des débats au sein de la doctrine quant à la qualification de génocide, en réprimant sa négation plutôt qu’en persuadant le pays fautif par la réalité des faits et la gravité de sa non reconnaissance. 

Une crise diplomatique sur fond d’ingérence juridique

 

      Le délit de blasphème a été supprimé par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme, il n'y a donc plus de vérité officielle sauf celle que la communauté internationale veut bien consentir.

Seule la communauté internationale a la compétence de qualifier un événement de génocide et de surcroît de pénaliser sa négation ou sa minimisation. Le législateur français a outrepassé ses pouvoirs en prenant les devants alors que le génocide arménien ne fait l’objet d’aucune sanction pénale de la part de la Cour pénale internationale.

 

   L’intervention française dans la mémoire turque n’a fais que raviver une tension tenace entre les deux puissances. L’ardente opposition de la France à l’entrée de la Turquie au sein de l’UE divisait les deux nations, mais quand le législateur français se donne le droit d’écrire l’histoire à la place d’une Turquie nationaliste, place à la crise diplomatique.

Sur fond d’atteinte à la nation, le premier ministre turc Erdogan a rappelé son ambassadeur de France et a annulé tous les rendez-vous politiques ou économiques prévus cette année, ainsi qu’en menaçant de représailles économiques.


    La presse turque s’est déchaînée à l’encontre du président et des députés français ; le populiste premier ministre Erdogan a diabolisé l’initiative française et a renvoyé la France à l’étude de sa propre histoire en s’entêtant dans son négationnisme. Vue de Turquie, le législateur français n’a pas à parler au nom de tous en son nom. Le terme de « minimisation » et sa mise en œuvre sont sujets à débat, par exemple à partir de combien de morts la peine peut elle s’appliquer.

   La communauté juridique française dénonce également l’absurdité d’une telle loi et préfère distinguer deux sortes de loi mémorielle. Est considéré comme un abus de pouvoir le fait de punir une vision différente de la version officielle, et comme un devoir de mémoire le simple fait de reconnaître les crimes reconnus par la communauté internationale et par son propre pays.

 

   La décision des «sages» du Conseil Constitutionnel a été reconnu unanimement par la communauté turque et a mis fin à ce dialogue de sourd entre arrogance française et nationalisme turc.


 Un travail de mémoire retardé et des retombées électorales plombées

   Le statu quo est maintenu dans la société turque, pire, cet événement a donné lieu à une recrue d’essence des branches radicales.
Un journaliste turc témoigne du travail de mémoire qu’est en train d’effectuer la Turquie quand à la reconnaissance de sa responsabilité dans le génocide arménien. Un travail de mémoire qui ne vient non pas du gouvernement conservateur, mais de la société civile, qui, depuis une dizaine d’année est le témoin de l’émergence de voix appelant à cette reconnaissance.
   Or cette crise diplomatique, cette atteinte à la fierté turque n’a fait que radicaliser un peu plus les réfractaires, l’élan est donc fortement retardé devant le renfermement turc.

   Le premier ministre Erdogan avait dénoncé la responsabilité de la France dans la guerre d’Algérie, jusqu’à qualifier de génocide les « abus » que veut bien reconnaître le gouvernement français.
Si parler de génocide pour cette guerre relève de l’absurdité si on se réfère au vrai sens du terme, le président français s’est retrouvé face à une de ses promesses de campagnes de 2007 d’engager la responsabilité de la France dans le massacre des harkis.
 Le travail de mémoire de la France sur l’Algérie n’est pas plus avancé, après avoir mis tant de temps à parler de guerre au lieu d’évènements d’Algérie, combien de milliers d’années encore faudra-t-il au gouvernement pour engager la responsabilité de la France dans les milliers de morts de l’intervention française incapable de lâcher son orgueil et sa souveraineté devant le désir légitime d’indépendance d’un peuple injustement colonisé ? La France a accepté la contrainte dit-il, mais dans le sang, alors que d’autre nations européennes n’ont pas eu recours à tant «d’ abus».
   
    Les retombées électorales espérées d’une telle loi porteuse des idées des Lumières se sont envolées pour le président-candidat. Car ce n’est pas la première fois que les politiques se servent des lois mémorielles à des fins électoralistes. Il est intéressant de remarquer que chaque initiative en matière de reconnaissance du génocide arménien est à l’aube d’une échéance électorale, ainsi La tragédie arménienne a officiellement été reconnue comme un génocide par le droit français en décembre 2001, juste avant les élections présidentielle et parlementaire. Un projet de loi similaire avait été présenté à l'Assemblée en 2006 (mais rejeté par le Sénat) à l'approche des élections de 2007 alors que l’élection de 2012 approche à grands pas.



http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/02/28/le-conseil-constitutionnel-censure-la-loi-sur-le-genocide-armenien_1649496_1471069.html
http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/laurence-neuer/loi-penalisant-la-negation-du-genocide-armenien-le-debat-oppose-aussi-les-juristes-09-02-2012-1429120_56.php
http://www.courrierinternational.com/article/2012/01/20/compter-les-cadavres-d-hier-pour-engranger-des-votes-demain
http://www.france24.com/fr/20111222-penalisation-genocide-armenien-demagogie-electoraliste-avancee-droits-homme-turquie