Au lendemain de la décision rendue par le conseil
constitutionnel le 28 Février dernier, censurant le texte voté par le parlement
instaurant une peine d’un an d’emprisonnement et 45 000 euros contre quiconque
contesterait ou minimiserait le génocide Arménien, le président a accusé une
double désillusion : le rejet de sa politique en matière de loi mémorielle
et un coup d’arrêt dans son entreprise électorale.
A sur jouer la carte de l’émotion outrancière, N.Sarkozy
s’est fait prendre à son propre jeu en s’attirant les foudres de la communauté
historienne, juridique et internationale.
Le Conseil Constitutionnel a donc mis fin à près de deux
mois de vives tensions entre la France et la Turquie autour d’un débat qui n’en
était pas un.
L’opportunisme d’une apparente noble intention
Parler de noble intention maladroite serait
naïf sans constater la proximité de l’échéance de l’élection présidentielle où
se présenter en défenseur des valeurs humanistes est l’occasion d’afficher une
image positive universelle.
Émouvoir à tout prix l’électorat est une spécialité du
quinquennat de N.Sarkozy, ainsi nous sommes régulièrement gratifiés de ses
larmoyants discours sur toute les injustices de cette Terre. Chacune de ces
interventions donne lieu à son lot de compassion et de souffrance, que ce
soit une perte d’un soldat français en Afghanistan ou un sordide fait divers. Le 11 Novembre 2011 par exemple, le
président a rebaptisé le « jour de commémoration de la victoire et de la
paix » en « cérémonie nationale d’hommage aux soldats morts pour la
France » avant l’adaptation de l’appellation par le parlement, imposant
son interprétation de l’Histoire.
Le phénomène va
jusqu’à envahir les salles de classe, les programmes scolaires, dictés par le
ministère de l’éducation, insistent davantage sur le traumatisme des guerres
plutôt que sur leurs faits générateurs, sur les dramatiques pertes humaines plutôt
que sur les fondements idéologiques responsables.
Les politiques français ont bon œil de
prendre à cœur le génocide arménien alors que d’autres génocides tout aussi
dramatiques n’ont pas eu le même écho, en particulier le génocide du Rwanda où
la France s’est toujours montrée discrète. Le demi million d’électeurs
potentiels d’origine arménienne et l’absence totale de lien avec la France
doit peser dans la balance.
Quand
il s’agit de sa propre Histoire, le législateur ne trouve rien de mieux que de
consacrer les bienfaits de la colonisation dans la loi du 23 février 2005.
Une défaite de la volonté de comprendre
Mais l’Histoire est à la France ce que le Droit est aux
Etats-Unis et ce que l’Economie est au Royaume-Uni, une spécialité
intellectuelle auto proclamée.
La communauté historienne, qui s’était élevée en 2005 contre
le principe même des lois mémorielles à travers la pétition du 12 décembre de
la même année, dénonçant de surcroît la loi Gayssot de 1990 instaurant une
première fois une peine contre la négation de la shoa, s’est de nouveau
manifestée début 2012.
Pierre Assouline, dans « L’Histoire », met en
garde les politiques contre le danger de l’officialisation d’un événement
historique et n’hésite pas à parler d’une « soviétisation » de
l’histoire. Si le négationnisme est en tout point scandaleux, le révisionnisme,
interdit de fait par cette loi, est inhérent au travail d’un historien et à l’objective interprétation des faits.
Cette contrainte est une atteinte à la liberté de recherche
comme le souligne les requérants du Conseil Constitutionnel, celui-ci préférant
retenir une atteinte à la liberté d’expression.
Cette loi est perçue, par les historiens, comme un aveu
d’échec des politiques de réussir à animer un vrai débat sur la question et à
monopoliser les forces scientifiques internationales pour déboucher sur une
conclusion commune. Un journaliste turc fait référence à l’ignorance des
politiques quant aux faits réels, notamment une intervention du président
Sarkozy indiquant le mauvais lieu des massacres orchestrés en 1915.
Il est plus facile de répondre à un sujet délicat, qui suscite encore
des débats au sein de la doctrine quant à la qualification de génocide, en
réprimant sa négation plutôt qu’en persuadant le pays fautif par la réalité des
faits et la gravité de sa non reconnaissance. Une crise diplomatique sur fond d’ingérence juridique
Le délit de
blasphème a été supprimé par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits
de l'homme, il n'y a donc plus de vérité officielle sauf celle que la
communauté internationale veut bien consentir.
Seule
la communauté internationale a la compétence de qualifier un événement de
génocide et de surcroît de pénaliser sa négation ou sa minimisation. Le
législateur français a outrepassé ses pouvoirs en prenant les devants alors que
le génocide arménien ne fait l’objet d’aucune sanction pénale de la part de la
Cour pénale internationale.
L’intervention française dans la mémoire
turque n’a fais que raviver une tension tenace entre les deux puissances.
L’ardente opposition de la France à l’entrée de la Turquie au sein de l’UE
divisait les deux nations, mais quand le législateur français se donne le droit
d’écrire l’histoire à la place d’une Turquie nationaliste, place à la crise
diplomatique.
Sur fond d’atteinte à la nation, le premier ministre turc Erdogan a rappelé son ambassadeur de France et a annulé tous les rendez-vous politiques ou économiques prévus cette année, ainsi qu’en menaçant de représailles économiques.
La presse turque s’est déchaînée à
l’encontre du président et des députés français ; le populiste premier
ministre Erdogan a diabolisé l’initiative française et a renvoyé la France à
l’étude de sa propre histoire en s’entêtant dans son négationnisme. Vue de
Turquie, le législateur français n’a pas à parler au nom de tous en son nom. Le
terme de « minimisation » et sa mise en œuvre sont sujets à débat,
par exemple à partir de combien de morts la peine peut elle s’appliquer.
La communauté
juridique française dénonce également l’absurdité d’une telle loi et préfère
distinguer deux sortes de loi mémorielle. Est considéré comme un abus de
pouvoir le fait de punir une vision différente de la version officielle, et
comme un devoir de mémoire le simple fait de reconnaître les crimes reconnus
par la communauté internationale et par son propre pays.
La décision des «sages» du Conseil Constitutionnel a été reconnu unanimement par la communauté turque et a mis fin à ce dialogue de sourd entre arrogance française et nationalisme turc.
Un travail de mémoire retardé et
des retombées électorales plombées
Le statu quo est
maintenu dans la société turque, pire, cet événement a donné lieu à une recrue
d’essence des branches radicales.
Un journaliste turc témoigne du travail de mémoire qu’est
en train d’effectuer la Turquie quand à la reconnaissance de sa responsabilité
dans le génocide arménien. Un travail de mémoire qui ne vient non pas du
gouvernement conservateur, mais de la société civile, qui, depuis une dizaine
d’année est le témoin de l’émergence de voix appelant à cette reconnaissance.
Or cette crise
diplomatique, cette atteinte à la fierté turque n’a fait que radicaliser un peu
plus les réfractaires, l’élan est donc fortement retardé devant le renfermement
turc.
Le premier
ministre Erdogan avait dénoncé la responsabilité de la France dans la guerre
d’Algérie, jusqu’à qualifier de génocide les « abus » que veut bien
reconnaître le gouvernement français.
Si parler de génocide pour cette guerre relève de
l’absurdité si on se réfère au vrai sens du terme, le président français s’est
retrouvé face à une de ses promesses de campagnes de 2007 d’engager la
responsabilité de la France dans le massacre des harkis.
Le travail de
mémoire de la France sur l’Algérie n’est pas plus avancé, après avoir mis tant
de temps à parler de guerre au lieu d’évènements d’Algérie, combien de milliers
d’années encore faudra-t-il au gouvernement pour engager la responsabilité de
la France dans les milliers de morts de l’intervention française incapable de
lâcher son orgueil et sa souveraineté devant le désir légitime d’indépendance
d’un peuple injustement colonisé ? La France a accepté la contrainte dit-il,
mais dans le sang, alors que d’autre nations européennes n’ont pas eu recours à
tant «d’ abus».
Les retombées
électorales espérées d’une telle loi porteuse des idées des Lumières se sont
envolées pour le président-candidat. Car ce n’est pas la première fois que les
politiques se servent des lois mémorielles à des fins électoralistes. Il est intéressant
de remarquer que chaque initiative en matière de reconnaissance du génocide
arménien est à l’aube d’une échéance électorale, ainsi La tragédie arménienne a officiellement
été reconnue comme un génocide par le droit français en décembre 2001, juste
avant les élections présidentielle et parlementaire. Un projet de loi
similaire avait été présenté à l'Assemblée en 2006 (mais rejeté par le Sénat) à
l'approche des élections de 2007 alors que l’élection de 2012 approche à grands
pas.
http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/02/28/le-conseil-constitutionnel-censure-la-loi-sur-le-genocide-armenien_1649496_1471069.html
http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/laurence-neuer/loi-penalisant-la-negation-du-genocide-armenien-le-debat-oppose-aussi-les-juristes-09-02-2012-1429120_56.php
http://www.courrierinternational.com/article/2012/01/20/compter-les-cadavres-d-hier-pour-engranger-des-votes-demain
http://www.france24.com/fr/20111222-penalisation-genocide-armenien-demagogie-electoraliste-avancee-droits-homme-turquie